Le 17 octobre 2024, le Centre culturel d’Azerbaïdjan accueillait une classe de Master 1 de l’Ecole des relations internationales et des sciences politiques de Paris (ILERI). Ce moment constitua une tribune rêvée pour l’ambassadrice d’Azerbaïdjan en France, Leyla Abdullayeva, afin de présenter son pays sous le meilleur jour. Il est cependant raisonnable de penser qu’elle omit de mentionner l’emprisonnement et l’assassinat des opposants politiques au régime qu’elle représente, ainsi que les crimes de guerre et le nettoyage ethnique perpétrés par ce-dernier contre les Arméniens.

Curieusement, il est intéressant de noter que l’ILERI a d’elle-même supprimé de ses réseaux sociaux les traces de cette visite. Sans doute pressentait-elle la survenue de critiques contre cette décision, discutable, d’emmener ses étudiants se faire séduire, puis photographier dans un selfie, par le visage en France d’une dictature sanglante.




Au-delà de son indécence manifeste, cet événement pose la question du relativisme dans les établissements d’éducation supérieure liés aux relations internationales. Car s’il convient de rappeler qu’en février 2024, l’ILERI avait donné la parole lors d’une conférence à Hovhannes Guévorkian, le représentant en France de la République d’Artsakh, plusieurs questions se posent :
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Les étudiants qui se sont rendus auprès de l’ambassadrice d’Azerbaïdjan en octobre 2024 ont-ils bien été présents à la conférence de Hovhannes Guévorkian ?
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Ces deux événements étaient-ils liés ? S’adressaient-ils au même public d’étudiants ?
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Les propos de l’ambassadrice ont-ils été nuancés voire contredits avant, pendant ou après l’événement par Mme May Maalouf Monneau, l’enseignante qui a emmené la classe au Centre culturel d’Azerbaïdjan ?
Les universitaires ont souvent le sentiment qu’afin de traiter de la façon la plus juste une situation de conflit, il est impératif de « prendre en compte les arguments de chaque camp ». Or, cette précaution – qui n’est en réalité que le symptôme de la crainte d’être jugé comme partisan – amène régulièrement les « chercheurs » et « experts » à considérer équivalentes les raisons de chaque partie d’un conflit. Une telle méthode les porte en fait à oublier les rapports de force, les agressés et agresseurs, les victimes et bourreaux. Cette posture est gravement problématique.
Car donner la parole au représentant d’un peuple expulsé de son territoire ancestral en même temps qu’à celui de l’Etat les en ayant expulsés, revient à mettre sur le même plan ces deux discours. Indirectement, une telle méthode blanchit les crimes de cet Etat, puisqu’elle lui offre un espace d’expression pour des arguments acceptés sans être évalués, auxquels sont confrontés ceux des victimes, qui subissent le même traitement. De cette façon, la recherche occidentale se complait dans une illusion de compréhension de conflits qu’elle ne fait, au fond, qu’effleurer, tout en donnant raison à ceux qui fabriquent des argumentaires justifiant massacres et nettoyages ethniques.

Donner la parole à l’ambassadrice d’Azerbaïdjan face à des étudiants en Master 1 de Relations internationales revient à permettre aux prétextes conçus par la dictature d’Aliyev, vernis de la langue diplomatique, afin de justifier l’expulsion des Arméniens indigènes du Haut-Karabagh, leur déshumanisation ainsi que ses nouvelles velléités territoriales, de s’infuser dans leurs esprits, et d’y trouver une équivalence avec les propos d’Hovhannes Guévorkian (qu’ils n’ont d’ailleurs sans doute pas entendus).

Les raisons qui ont poussé May Maalouf Monneau à emmener sa classe auprès de Leyla Abdullayeva sont inconnues. Est-elle proche de la représentation diplomatique azerbaïdjanaise ? A-t-elle organisé cet événement dans le but de soumettre ses étudiants à la rhétorique d’une dictature, après les avoir préparés en amont ? Était-ce pour constituer un pendant à la conférence de Hovhannes Guévorkian en février 2024 ? Nous avons essayé de l’interroger à ce sujet, mais sommes restés sans réponse.