Le 10 décembre 2024, le Musée du Quai Branly à accueilli une conférence sur la « diplomatie culturelle », organisée par La Fabrique, une association du Master 2 Droit du patrimoine culturel de l’Université Paris-Saclay (Paris XI). Les deux intervenantes étaient Elita Sultanaliyeva, assistante de l’ambassadeur du Kirghizstan en France, et Nigar Huseynova, conseillère à l’ambassade d’Azerbaïdjan en France. Comme escompté, ce fut pour la dictature azerbaïdjanaise un moment de propagande rêvé, dans un des plus prestigieux musées parisiens.
Cette conférence a été organisée par La Fabrique, dont est membre Adela Naibova, en Master de Droit du Patrimoine Culturel (assez ironiquement compte-tenu de ce dont est coupable l’Etat dont elle sert les intérêts) au sein du pôle événements. Pour rappel, elle est l’une des représentantes de la nouvelle génération du lobby de l’Azerbaïdjan et, comme le montre notre article, est très proche de l’ambassade d’Azerbaïdjan en France mais aussi d’ultranationalistes turcs. Déguisant l'événement derrière l'idée de faire s'exprimer deux femmes diplomates en vue de la Journée Internationale des Droits des Femmes, Adela Naibova a en fait contribué à organiser une tribune de désinformation azerbaïdjanaise dans un institution parisienne.



L’ensemble de l’événement était dédié aux stratégies diplomatiques liées au patrimoine culturel, ainsi qu’à sa valorisation. La conférence réunissant les deux diplomates et Adela Naibova en modératrice avait quant à elle lieu entre 16h30 et 18h.

Cette conférence, si elle avait vocation à définir la notion de « diplomatie culturelle » des points de vue du Kirghizstan et de l’Azerbaïdjan, est rapidement devenue pour Nigar Huseynova une opportunité de dérouler la propagande de la dictature d’Aliyev sur l’enjeu crucial du patrimoine culturel. Son importance a en effet grandi aux yeux du régime suivant l’annexion de l’Artsakh et la prise de contrôle du patrimoine culturel arménien s’y trouvant.
Les médias azerbaïdjanais pro-régime ont publié des articles à propos de la conférence, louant le fait que des « étudiants français » avaient été « informés de la diplomatie culturelle de l’Azerbaïdjan ». En réalité, il ne s’agissait évidemment pas que de diplomatie culturelle.



Nous nous efforcerons ici de commenter les affirmations de la représentante de l’ambassade d’Azerbaïdjan, retranscrites dans les publications d’Azertac et Xalq Qazeti. Trois points ont été relevés :
Les relations interreligieuses et interethniques en Azerbaïdjan
Nigar Huseynova a déclaré que :
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« Les représentants de toutes les religions et groupes ethniques vivent en harmonie en Azerbaïdjan »
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« Il a été indiqué lors de la table ronde que l'initiative du « Processus de Bakou » avait été lancée par le président Ilham Aliyev afin d'établir la paix et le dialogue entre les cultures dans le monde, et qu’il était devenu une plateforme mondiale pour le renforcement et la promotion du dialogue interculturel et interreligieux dans le monde. »
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« Les contributions de l'Azerbaïdjan au dialogue interreligieux et interculturel ont également été abordées. »
L’idée selon laquelle l’Azerbaïdjan est un pays où règne la tolérance à l’égard des minorités ethniques et religieuses est un mythe.
Déjà en 2007, des médias dénonçaient le fait que les chrétiens convertis étaient durement persécutés. En règle générale, l’Etat azerbaïdjanais impose aux culte un contrôle sévère, et en 2011, des sources indiquaient que les cultes ne possédant pas de permissions étatiques étaient réprimées. En 2015, l’ONG norvégienne Norwegian Helsinki Committee a publié un rapport indiquant que « le gouvernement azerbaïdjanais affirme soutenir la tolérance religieuse, mais en réalité, il restreint sérieusement la liberté de religion ou de croyance ». Plus récemment, en janvier 2025, l’ONG Open Doors International a mis en ligne un autre rapport dans lequel le constat était assez semblable :
« Le gouvernement azerbaïdjanais surveille étroitement les activités des groupes religieux. Officiellement, le pays est laïc et la religion y est tolérée. Cependant, le niveau de surveillance est si élevé que les chrétiens d'Azerbaïdjan ne savent plus à qui faire confiance. […] Il faut garder à l'esprit que les chrétiens azerbaïdjanais subissent de fortes pressions pour ne pas signaler les persécutions. »
Du côté des minorités ethniques, de nombreuses sources indiquent une répression violente des minorités d’Azerbaïdjan, particulièrement des Lezghiens et Talyches, et notamment des personnalités œuvrant au développement de leur langues et cultures.
Un article de BBC News, raconte qu’en 2012, le dirigeant du Conseil public du peuple talysh, Gilal Mamedov, a été arrêté pour « trahison » et « incitation à la haine raciale », avant d’être libéré en 2016. Moins chanceux, le linguiste et rédacteur en chef du journal en langue talyche « Tolishi Sado », Novruzali Mamedov, a été arrêté en 2007 pour « trahison ». Il aurait été battu et torturé et, malgré les demandes de libération émanant d’organisations internationales, mourut en prison en 2009. Un autre acteur majeur de la culturel talyche, Fahradin Aboszoda, a été arrêté en Russie et extradé en Azerbaïdjan en 2020, où il se serait officiellement « suicidé » en prison.
Quant aux Lezghiens, un rapport de Minority Rights Group rapporte qu’il se plaindraient de discriminations en Azerbaïdjan et « se sentent obligés de s'assimiler à l'identité azérie pour éviter la discrimination économique et éducative ». Leur nombre serait par ailleurs considérablement sous-estimé dans les données officielles. En 2015, l’Organisation des Peuples et Nations Non-Représentées dénonçait aussi la « sévère restriction de la liberté de croyance et de religion » en Azerbaïdjan visant les Lezghiens.
La soi-disant « harmonie » décrite par Nigar Huseynova, de même que sa promotion du « Processus de Bakou » initié par le dictateur Aliyev ne sont donc que de la poudre aux yeux, face à une réalité de contrôle et de discrimination de la part du régime envers les minorités.
Les résultats de la COP29
Nigar Huseynova a déclaré que :
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« Il a été souligné que l’Azerbaïdjan avait réussi à obtenir des résultats historiques dans les négociations sur le climat malgré une campagne de diffamation et de calomnies à grande échelle »
Il convient de noter premièrement que l’évocation de la COP29 lors d’une conférence dédiée à la diplomatie culturelle a de quoi étonner. Cela renforce le sentiment que cette prise de parole a davantage relevé d’une tribune de communication d’influence que d’une leçon sur la diplomatie culturelle.
S’il fallait cependant commenter la réalité des résultats de la COP29, de multiples sources vont clairement contre l’affirmation ci-dessus.
D’après un rapport-bilan de l’association pour la transition énergétique CITEPA, le bilan de la COP2, a été « mitigé », loin des « résultats historiques » évoqués par la diplomatie azerbaïdjanaise. La publication indique également que « de nombreux observateurs et plusieurs Parties ont vivement critiqué la gestion et le pilotage « chaotique » par la Présidence azerbaïdjanaise pendant la 2e semaine – liés notamment à leur très faible expérience en diplomatie climat ». D’après l’association, les conclusions de la COP29 ont suscité un sentiment d’injustice de la part des pays du Sud « sur le sujet clivant du financement climat et le résultat final peu ambitieux ». L’article conclut que « le résultat final de Bakou ne satisfait personne : c’est un compromis insatisfaisant ».
Réseau Action Climat affirme que la COP29 a été un échec pour la société civile, avec un nouvel objectif de financement « insuffisant et incomplet ». De la même façon, les ONG européennes Europa Nostra et European Heritage Hub ont noté des résultats décevants quant aux questions de culture et patrimoine. Un article de la BBC a même souligné le fait que « le pays hôte, l'Azerbaïdjan, a été un choix controversé pour les négociations sur le climat. Ce pays affirme vouloir augmenter sa production de gaz jusqu'à un tiers au cours de la prochaine décennie ».
Une nouvelle fois, les déclarations de la diplomatie azerbaïdjanaise sont clairement contredites par les faits.
La destruction du patrimoine culturel
Nigar Huseynova a déclaré que :
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« En ce qui concerne l'efficacité des conventions de l'UNESCO dans le domaine de la protection du patrimoine culturel, il a été noté que malgré la Convention de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé, « nos monuments historiques et culturels dans ces régions ont été détruits pendant l'occupation arménienne et la convention n'a pas été respectée ».
Là, la conseillère à l’ambassade d’Azerbaïdjan se rend coupable d’un procédé rhétorique classique régulièrement utilisé par les représentants de l’Azerbaïdjan : l’inversion accusatoire.
En effet, à l’image des points précédents, de nombreuses sources affirment clairement que dans le conflit opposant l’Arménie et l’Azerbaïdjan, c’est bien ce-dernier qui est animé d’une intention de génocide culturel à l’encontre des Arméniens, et cela depuis plusieurs décennies.
En 2019, avant même le scandale des destructions du patrimoine arménien en Artsakh, The Guardian signait un article affirmant que « le gouvernement azerbaïdjanais s'est livré, au cours des 30 dernières années, à un effacement systématique du patrimoine historique arménien du pays ». Il a en effet été documenté qu’entre 1920 et le début des années 2000, l’Azerbaïdjan a détruit un cimetière arménien situé au Nakhitchevan et constitué de près de 10 000 khatchkars (croix sculptées dans la pierre, typiques de l’art arménien), ce qui avait même provoqué l’émoi de l’UNESCO, en vain. L’écrivain azerbaïdjanais Akram Aylisli, pourchassé par la dictature azerbaïdjanaise pour avoir écrit sur les massacres d’Arméniens par les Azerbaïdjanais, a également qualifié la destruction perpétrée par le régime de « vandalisme diabolique ».
Avec l’annexion par l’Azerbaïdjan de l’Artsakh, commencée avec la Guerre des 44 Jours en 2020, et le nettoyage ethnique perpétré contre sa population arménienne en 2023, l’intégralité du patrimoine millénaire arménien s’est retrouvé à la merci de la dictature azerbaïdjanaise. Le Centre européen pour le droit et la justice a publié en 2024 un rapport très détaillé intitulé « L'effacement systématique du patrimoine chrétien arménien dans le Haut-Karabakh » (nous vous invitons à le consulter). Appuyé par des photos satellites et des témoignes, le rapport liste les centaines de monuments, églises, cimetières, lieux sacrés, et autres éléments de patrimoine, anéantis par l’Azerbaïdjan depuis 2020.
D’autres ont été vandalisés, et ont vu toute preuve d’appartenance au patrimoine arménien être effacées, afin de correspondre à un nouveau narratif révisionniste mis en place par la dictature : celui des chrétiens Albanais-Oudis. Le régime d’Azerbaïdjan s’efforce en effet de clamer que le patrimoine chrétien d’Artsakh est en fait celui de cette communauté chrétienne. En 2022, le Ministère de la Culture d’Azerbaïdjan avait même annoncé son « intention d'effacer les inscriptions arméniennes sur les sites religieux » situés en Artsakh, affirmant « que les églises étaient en fait à l'origine le patrimoine de l'Albanie caucasienne ».
Là encore, les propos de Nigar Huseynova sont totalement déconnectés de la réalité, et s’inscrivent en fait dans une stratégie de parasitisme du débat par l’Azerbaïdjan qui, en se déclarant victime du « barbarisme » arménien quant au patrimoine azerbaïdjanais d’Artsakh, atténue aux yeux du public la gravité de l’effacement de la présence arménienne dans la région.
Il est étonnant, au vu de l’hypocrisie et du cynisme des affirmations de Nigar Huseynova face à une réalité bien différente et décrite par de nombreux observateurs internationaux, que le Musée du Quai Branly ait pu autoriser la tenue d’un tel événement.
Ce type d’événement, tout comme celui organisé en novembre 2024 à la Salle Cortot pour le « Jour de la Victoire », contribue au blanchiment des crimes de la dictature azerbaïdjanaise, et à la diffusion de ses thèses révisionnistes. Permettre la tenue de tels moments de propagande au bénéfice du régime d’Aliyev revient également à légitimer, indirectement, ses prochaines revendications, car elle lui donne un sentiment d’impunité en dépit des crimes commis ces-dernières années et de leur médiatisation.
La conclusion d’un tel événement ? Il est possible de perpétrer un nettoyage ethnique, de détruire le patrimoine culturel millénaire d’une région, de falsifier l’histoire puis de venir déclarer au Musée du Quai Branly que la victime est le bourreau, et que l’Azerbaïdjan est un acteur de la « défense le patrimoine culturel ». Le cynisme de cette dictature est insupportable, et doit être exposé, de même que le laissez-faire du Musée du Quai Branly.